jeudi 19 février 2009

Marrakech : secrets affichés

Livre où espace et conte ne font qu’un seul corps

My Seddik Rabbaj

My Seddik Rabbaj - Nombreux sont les livres consacrés à la ville de Marrakech. Ils sont dans la plupart des écrits d’étrangers se trouvant, après le premier coup de foudre, sous l’enchantement d’une ville à l’apparence folklorique, une ville farouche se cachant toujours dans sa coquille comme un escargot, ne se montrant complètement qu’après s’être apprivoisée. Mais comment faire pour l’amadouer ? "Comment aborder la ville ?"


Saad Sarhan et Yassin Adnan
Saad Sarhan et Yassin Adnan
Telle était la question qui ouvre plusieurs textes qui composent le recueil, « Marrakech : Secrets affichés », écrit par les deux poètes Yassin Adnan et Saad Sarhan, traduit par les deux éminents traducteurs Abdelkader Hajjam et Hamid Guessous et préfacé par Juan Goytisolo écrivain espagnol – pas tout à fait puisqu’il passe une bonne partie de l’année serré, par les mains fortes, contre la poitrine de sa bien-aimée : Marrakech.

On dirait que cette ville ne pourrait pas être écrite qu’avec dix mains. En fait, « Il ne s’agit pas d’un espace proprement parler, ni d’une simple ville », comme le déclarent les deux auteurs pour bien préparer le lecteur un pèlerinage hors du commun, c’est une ville complexe. Une ville qui ressemble à ce livre qui cherche à la conquérir, livre où espace et conte s’enchevêtrent pour devenir enfin inextricable.

D’ailleurs, on se trouve dans l’incapacité de qualifier ce recueil où poésie, prose, histoire et géographie s’imbriquent et constituent une mosaïque inouïe. Les ponts sont détruits entre les disciplines, entre les genres…mais les traversées ne sont pas difficiles, inaperçues même, parfois. On glisse tel un patineur d’un mode d’expression à un autre, bercé par les mots et soutenu par des histoires, par moment, abracadabrantesques, comme celle de Harroun Errachid arrivé à Marrakech à la recherche du paradis perdu.

A l’instar d’un Mahi Binebine qui, à travers sa mémoire éclaire une partie de la mémoire de Marrakech dans son livre « Le Griot de Marrakech », les écrivains de « Marrakech : secrets affichés » clarifient l’abscons du labyrinthe de la ville qui n’a plus de secret pour eux. Ils retracent, comme des cartographes, les chemins tortueux à suivre pour arriver au cœur battant de la cité : la place de Jamaâ El Fana. Ils décrivent minutieusement ces itinéraires tentaculaires, semblables aux doigts de la même main aboutissant tous, à la paume qui maîtrise leur mouvement ; « Marrakech n’est pas une ville, c’est une main tendue, ainsi que l’atteste sa carte invisible ». Cependant, la description des chemins ne suffit pas, ce n’est pas l’objectif principal. Ce qui importe, c’est comment apprendre à se perdre volontiers dans le bois des plaisirs, à glaner, par bribe, l’âme de la ville, à saisir son essence…

Couverture
Couverture
Les deux écrivains répondent à la question qu’ils se posent au début du livre : « Quelle carte muette soutiendrait cet enchevêtrement de ruelles, ces esplanades et ses souks hurlant de tout leur vie. »

La cohabitation de la modernité et de la tradition n’affecte pas Adnan et Sarhan, plutôt ils voient en elle l’incroyable capacité qu’à la ville d’incorporer le changement tout en restant elle-même ; la jeune odalisque à la jeunesse éternellement renouvelée :

« Ne sois donc pas étonné au cas où tu surprendrais présent et passé enlacés au fond de quelques venelle, et, ce voyant, ne te fais surtout pas d’idées. » Disaient les auteurs d’un air où se mêlent défi et étonnement.

Marrakech c’est aussi « les langues épicées qui font succulente la parole ». C’est une pépinière linguistique, un laboratoire à production de mots et d’expressions. Les Marrakchis sont connus par leur capacité de faire d’un grain une coupole ou d’un lion un chaton. Ils usent de leur héritage ancestral et fouillent dans leur patrimoine oral, déversé partout dans la ville, pour enrichir leur répertoire linguistique, combien intéressant pour les incantations, pour faire d’un banal tapis une relique d’une valeur inestimable, comme font les vendeurs des bazars dont il s’agit dans ce texte. Vendeurs qui élargissent leur champ de perfectionnement et deviennent non seulement capables de se servir des mots mielleux de leur langue maternelle mais aussi en mesure d’inventer et de créer des néologismes dans la langue de l’autre ; le touriste.

Le livre « Marrakech : secrets affichés » a essayé sans être exhaustif et parfois dans un style chirurgical, de nous montrer les nombreuses facettes de cette ville magique où on peut se cultiver sans recourir aux livres, conquérir le monde sans la quitter…Car, comme disent les deux auteurs : « Ceci n’est donc pas la ville de Marrakech. Ceci est la bibliothèque de Babel. Les ruelles sont des salles de lecture, et les boutiques des rayons. »

De tels travaux nous rendent la confiance en nos créateurs et surtout les poètes, dont certains croient, qu’en poussant les mots hors les limites du sens, inventer une nouvelle langue abstraite, poétique, comprise seulement par les élus. Non mes chers, la poésie c’est tout d’abord un sens, un message, une idée…En voici un exemple :

Dans sa sagesse matinée
Marrakech se réveille d’un sommeil séculaire
La voici qui s’étire par delà ses murailles
Mais en elle-même
L’insouciante bâille encore de plaisir
Marrakech est un arc
nulle flèche cependant,
Nul cupidon,
Mais des amants,
Des victimes
Et des amants.
Marrakech: La rose est sœur jumelle du palmier.
Marrakech ruse par laquelle
La géographie se dérobe au service de l’histoire.
Marrakech, odalisque à la jeunesse toujours recommencée:
Saurait-elle vieillir, Celle dont le maître est le temps ?
Marrakech est une eau
au sein du feu…

Alors bonne lecture...

Source : MN

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