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Dans la religion judaïque, l’être humain ne peut connaître l’épanouissement véritable que dans le cadre du mariage : un homme sans épouse, ou une femme sans mari, est considéré comme une personne incomplète. Plusieurs rituels et cérémonies parfois complexes sont donc nécessaires afin de s’assurer du bonheur des futurs mariés. Mixez le tout avec les traditions arabo-berbères marocaines et vous obtiendrez… un mariage juif marocain !
La synagogue est pleine. Séparés, hommes et femmes sont assis de part et d’autre de l’allée qui mène à la ‘houpa, le dais sous lequel les futurs époux, leurs parents, les témoins et le rabbin vont se tenir pendant le mariage. Les parents du ‘hatan (le nouveau marié) s’engagent dans l’allée et s’arrêtent à mi-chemin. Ils sont bientôt rejoints par leur fils Cyril qui, un sourire ému sur le visage, continue avec eux jusqu’à la ‘houpa. Puis c’est au tour des parents de la mariée (la kalla) de s’avancer, et enfin, Esther apparaît, souriante et rayonnante. La cérémonie de Kiddushin, dite aussi des “sept bénédictions”, peut commencer. C’est un moment chargé d’émotions pour le jeune couple et leurs familles, le point culminant d’une série de festivités et de rites qui ont débuté deux jours plus tôt.
Deux ou trois jours, c’est la durée moyenne d’un mariage juif marocain, même si certains se déroulent sur plus d’une semaine. Ainsi, Sarah et Avi, deux jeunes Casablancais, ont choisi de célébrer leur union “à l’ancienne” : sept jours rythmés par les fêtes et les rituels, comme dans les noces musulmanes traditionnelles. La ressemblance ne s’arrête d’ailleurs pas là, les deux communautés partageant un grand nombre de coutumes, de pratiques sacrées et de symboles, qui n’ont rien à voir avec la religion, et tout à voir avec une histoire, une culture arabo-berbère commune…
Sept jours avant…
Une semaine, donc, avant le mariage de Sarah et Avi, famille et amis proches se retrouvent chez les parents de la jeune femme, en présence de rabbins et de témoins pour la signature de la kétouba. Cet acte énonce les engagements du futur époux envers sa femme, et fixe le montant de la dot à lui verser en cas de divorce. Bien que ne faisant pas vraiment partie de la cérémonie, la kétouba est indispensable à la validation du mariage. À cette occasion, la famille et les amis d’Avi ont escorté avec des youyous des cônes de cadeaux jusqu’à la maison de la fiancée : nuisettes, maquillage, bijoux, chaussures, et surtout des plateaux chargés de fruits secs, d’épices et de plantes bénéfiques, comme le henné. Leur arrivée est annoncée en musique par l’orchestre. Une fois l’assemblée au complet, les rabbins demandent à Sarah et Avi s’ils sont consentants, sous quel régime ils souhaitent se marier, et annoncent le montant de la dot. Cette somme, censée protéger l’épouse d’un caprice futur de son mari pour une femme plus jeune est donc aussi le symbole de l’amour et de la volonté d’engagement de celui-ci (voir encadré), et de la valeur qu’il accorde à sa fiancée. D’où l’expression évocatrice “Zid Liha Fel Kteba” (rajoute-lui dans sa kétouba), qu’on utilise en parlant au mari pour complimenter sa femme ! Une fois la kétouba signée par deux témoins, il ne reste plus qu’à apprécier le premier des repas de festivités de la semaine…
Lilet El Henna
Le mercredi suivant, c’est Lilet al Henna, “la nuit du henné”, ou Lilla Lekbira, “la grande nuit”. Cette fête très importante regroupe autant de monde que le soir de Keddushin. Les femmes sont en caftan, celui de Sarah, Lalla Laâroussa, est couleur or. Puis elle se change et met la fameuse Keswa Lakbira, la robe de mariée juive, composée de plusieurs pièces en velours abondamment brodé au fil d’or. Cette dernière est rouge bordeaux, selon la tradition fassie. Une tenue complétée par les riches bijoux prêtés par la neggafa. Le rituel du henné commence une fois la jeune femme revêtue de la Keswa Lakbira. Il est censé lui apporter chance et bonheur, et la protéger du mauvais œil. Une femme plus âgée, souvent la grand-mère d’un des fiancés, applique un cercle de henné sur la paume de la main des mariés et des invités. Les youyous retentissent alors, et les femmes entonnent une vieille chanson en darija, “Abiadi” : “…sois fière la mariée, met du henné sur ta main…”
Dernier cérémonial avant le mariage proprement dit, le mikvé, le bain rituel, a une grande importance symbolique. La jeune femme s’y rend accompagnée de sa belle-mère, de femmes de sa famille et d’amies proches qui apportent avec elles douceurs, dattes, confitures et limonades. Lavée, épilée, et sans artifices tels que vernis à ongle ou maquillage, la future mariée s’immerge à plusieurs reprises dans le mikvé : l’eau doit la recouvrir complètement, afin de la purifier. Autour d’elle, les femmes chantent et lancent des youyous. Sarah dépeint ce rituel comme “un moment chargé d’émotion, une véritable communion”. La tradition veut que la jeune femme s’immerge sept fois, ce qui rappelle les sept seaux utilisés autrefois au hammam pour purifier la future épouse musulmane et la placer sous la protection des anges. Après le mikvé, la fiancée n’est plus autorisée à voir son “promis” et ce jusqu’au mariage.
Du bonheur sous les youyous
Et enfin, le soir de Kiddushin arrive. La cérémonie est simple, émouvante, et entrecoupée par des chants en hébreu, beaux et mélancoliques. Esther remonte l’allée de la synagogue, ravissante dans une robe blanche brodée d’argent, et rejoint son futur mari sous la ‘houpa, symbole du foyer que le couple doit construire et partager. Après avoir dit quelques mots sur les deux jeunes gens et leurs familles, sur le point de s’unir, le rabbin commence à réciter les sept bénédictions, le kiddush. Le ‘hatan boit une gorgée de vin béni, et la kalla l’imite. Puis c’est le moment crucial, la remise de l’anneau d’or. Cyril tient l’alliance dans sa main et déclare à sa fiancée : “Te voici sanctifiée à moi selon la loi de Moïse et d’Israël”. Il passe ensuite l’anneau à l’index droit d’Esther, en prenant garde de ne pas la toucher ; il n’en a pas encore le droit. Pour cela il ne fait que glisser la bague jusqu’à la première phalange, la kalla refermant sa main dessus. Ça y est, ils sont mariés : Esther pousse un cri de joie en montrant sa main baguée à l’assemblée ! La kétouba est alors lue à voix haute, puis donnée à la mariée afin qu’elle la conserve précieusement. Enfin le rabbin finit de réciter le kiddush tandis que le Cyril boit à nouveau du vin béni et en donne à boire à son épouse. Une fois leur union ainsi “sanctifiée”, on ouvre le Hékhal, sorte d’armoire contenant les rouleaux de la Torah. Le nouveau couple demande le pardon de ses péchés et renaît comme une seule âme. Puisque les voies du ciel sont censées s’ouvrir pour les mariés, leurs prières seraient exaucées. En se retournant vers l’assemblée, les yeux d’Esther sont embués de larmes. Le ‘hatan accomplit alors l’acte généralement associé au mariage judaïque dans l’imaginaire collectif : d’un coup de talon, il brise un verre préalablement enveloppé dans une étoffe blanche. Ce geste rappelle à tous qu’aucune joie, même la plus grande, ne peut être parfaite depuis la destruction du Temple de Jérusalem. Mais certains disent aussi que c’est là “le dernier acte d’autorité du mari”… En tout cas, il marque la fin de la cérémonie. Les jeunes mariés s’embrassent et s’enlacent puis quittent la ‘Houpa entourés par les invités enthousiastes et les youyous. “Mazel Tov” !
Que la fête commence !
C’est maintenant l’heure du banquet, un moment certainement très attendu par les héros de la soirée, puisqu’ils jeûnent depuis la veille au soir… Dans la grande salle de réception, un DJ, des jeux de lumière et des tables blanches décorées par de beaux bouquets de roses. Le résultat est plutôt sobre, élégant. Dolly Levy-Bencheton, traiteur à Casablanca précise que s’il y a bien un retour aux traditions, la cuisine marocaine et les décorations et dorures orientales sont surtout réservées aux soirées du henné et à la signature de la kétouba. Pour le mariage, les couleurs tendances sont l’argent, le noir et blanc, et la cuisine est plus occidentale. Entre chaque plat, les mariés et les invités se lèvent et se retrouvent sur la piste, le DJ passant un mélange de musique orientale et pop. Au début, hommes et femmes (qui ne sont pas séparés à table) vont chacun de leur côté. Esther tourne sur elle-même et fait voler son jupon, entourée par ses amies. Cyril lui, danse en cercle avec les hommes. Puis, tous se regroupent et portent la mîda, la table sur laquelle la kalla et le ‘hatan se tiennent. Les youyous retentissent. Ainsi élevé au-dessus de l’assistance, le marié n’a pas l’air très assuré, tandis qu’Esther, radieuse, salue ses amis et sa famille. On les fait redescendre, ils s’embrassent, puis la mariée danse avec son père, très ému. Après le dîner, Esther et Cyril se sont éclipsés, et sont revenus juchés sur des aâmmariyate, lui en djellaba et elle en caftan rouge et or. Parée de bijoux, la mariée se trémousse en rythme avec la musique orientale. Alégria, une cousine de la mère d’Esther arrive alors, portant un bol rempli de henné qu’elle applique sur la paume des mains du nouveau couple mais aussi de tous les invités, pour leur porter bonheur : on dit même que les jeunes filles qui le mettent trouveront un mari dans l’année. Tard dans la nuit, les derniers invités s’en vont, c’est Lilet ar-raha, la nuit du repos.
Pendant la semaine qui suit le mariage, l’usage voulait qu’une fête soit donnée chaque soir par les membres de la famille, en l’honneur des mariés. Mais cette coutume, réminiscence des mariages fastueux des siècles derniers, se perd. Avec une communauté juive qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était, on peut craindre la disparition de ces traditions, de ce savoir-vivre, et ainsi, d’une partie de la culture marocaine, déjà amputée par l’exode massif des juifs que le pays connaît depuis plus d’un demi-siècle. Cependant, il suffit de faire un tour sur Internet pour se rendre compte à quel point les juifs marocains chérissent leurs racines, leur histoire, leur culture et les traditions qui s’y rattachent. Il n’est pas rare, apparemment, de trouver un portrait du roi Mohamed VI accroché au mur d’un salon, en Israël ou au Canada. D’ailleurs, selon Dolly Lévy-Bencheton, de plus en plus de familles juives d’origine marocaine et qui vivent à l’étranger reviennent célébrer leur mariage “au pays”, principalement à Marrakech. Plus qu’une mode, ce phénomène est pour elle “une sorte de retour aux sources, vers une ambiance et une chaleur qu’on ne retrouve nulle part au monde”.
Source : Femmes du Maroc
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